Lors de la dernière visite, l’ingénieur me regarde avec douceur et me dit : « bravo Madame, ce sont de bons résultats, vous faites un très bon suivi ». J’éclate en sanglots, j’en suis moi-même choquée. C’est la première fois que quelqu’un me dit que je fais bien. Je me rends compte à quel point la gestion permanente de cette menace invisible n’est associée à aucune forme de reconnaissance.
Je suis souvent malade, heureusement les cauchemars se font moins fréquents, mais restent les mêmes : je suis seule dans un lieu sans issue, j’erre, je rampe, je n’ai plus de téléphone, de voiture, il n’y a ni bus ni train, ni personne.
Cette nuit je dévalais une pente en luge, c’était la nuit au milieu de la forêt, je tentai d’éviter les sapins, de maîtriser les plaques de verglas, de surveiller les enfants afin qu’ils ne disparaissent pas dans la nuit noire pour ne m’être rendus qu’au printemps, gelés.
Ma lampe frontale ne fonctionnait plus, la lune n’éclairait que faiblement un paysage glacé. Arrivée en bas en sueur, je traversai une clairière en tirant ma luge. Peut-être trouverai-je plus loin une route mais non, je n’y trouvai que le chien qui, au lieu de me guider me suivait.
ED / Extrait du récit intitulé Les Machines, octobre 2020
(Accompagnement individuel Ma vie, quelle histoire ?)