Récit de Micheline (extrait)

Photo de Pierre Nydegger

Vous raconter ma vie ? D’accord, mais je n’aimerais pas que ce soit ennuyeux à lire comme peuvent l’être les biographies, quand la vie reste captive d’une chronologie. Je préfère épouser ici la ligne sinueuse des souvenirs, surtout de ceux dont aujourd’hui je suis la seule dépositaire. Elles ne sont plus là, ou elles sont perdues de vue depuis longtemps, les personnes qui pourraient avec moi faire revivre un contexte et rire de ces situations du passé qui m’habitent encore, mais dont les contours menacent de s’effacer si je ne peux plus en partager la saveur.

Je suis née à Casablanca, le 3 juillet 1935. La Suisse a d’abord été le pays des vacances, ou des intermèdes, avant le retour à la maison dans la chaleur, les odeurs épicées, les couleurs et la lumière du Maroc.

À vous qui n’avez pas ou pas encore fait le voyage sur ma terre natale, à vous qui aimez tant manger le couscous à Noël, à vous qui me voyez dans le décor exotique de mon appartement, avec les sabres du salon, les poteries et les cuivres travaillés à l’ancienne, à vous qui découvrez sur ma table Le miel et l’amertume, le dernier roman de Tahar Ben Jelloun, j’aimerais donner un peu de relief à cette vie marocaine qui n’a jamais cessé d’irriguer le jardin de mon cœur. Non que tout ait été facile et idyllique dans cette vie-là, mais pour que cette terre de mes origines, qui souvent s’est inscrite dans le mouvement terrible de l’histoire du vingtième siècle, soit désormais aussi la vôtre. Ce récit serait alors comme une invitation à cheminer avec moi de la petite à la grande patrie dont parlait Cicéron.

Peut-être qu’en vous emmenant sur le fil de ma mémoire, la pluie, l’obscurité, le brouillard ressenti parfois, feront meilleure alliance avec la transparence, le bleu du ciel, l’éclat des fleurs à chaque printemps …

 

MD & FT / Extrait du récit intitulé Ma patrie ou le pays d’où je viens, août 2021